Frédéric Laurans nous partage dans cet interview les dessous de l’halioticulture finistérienne.
Bonjour Frédéric Laurans, vous êtes responsable commercial de France Haliotis situé à Plouguerneau. Quelle est la mission quotidienne de France Haliotis ?
Fondé en 2004 par Sylvain Huchette, France Haliotis a pour mission d’élever des ormeaux en pleine mer ! Nous sommes le seul élevage en France à le faire ainsi, et plus exactement au cœur de l’Aber Wrac’h. Nous sommes aujourd’hui huit salariés et nous sommes toujours aidés par des stagiaires motivés. Tous les ans, 250 000 ormeaux naissent et grandissent dans nos cages en pleine mer.
Nos gastéropodes sont destinés à la restauration commerciale principalement, les restaurateurs représentent 70% de nos ventes puis les 30% restants correspondent aux particuliers. Nous travaillons avec les restaurants gastronomiques tels que le Park Hyatt à Paris ou le Coquillage d’Hugo Roellinger à Saint-Méloir-des-Ondes, en Ille-et-Vilaine et dans de nombreux autres restaurants en Bretagne.
En 2021, nous avons vendu six tonnes d’ormeaux et nous souhaiterions en vendre entre dix et douze tonnes pour l’année prochaine. Nous travaillons tous les jours pour nous améliorer, nous arrivons ainsi à diminuer la mortalité des ormeaux tout au long de l’élevage.
De la reproduction jusqu’à la récolte, vous vous occupez de toutes les étapes chez France Haliotis. Pouvez-vous nous expliquer comment on élève des ormeaux ?
Pour commencer un élevage, il nous faut des larves d’ormeaux. Pour cela, nous choisissons des géniteurs issus d’une lignée de reproducteurs prélevés dans les populations sauvages du Finistère. Ces géniteurs sont placés dans notre écloserie, ici à Plouguerneau, de janvier à mai. Pendant ces mois, on les prépare à la reproduction et on les accompagne jusqu’à leur maturité. Puis lorsqu’ils sont prêts à se reproduire, nous déclenchons la ponte via un choc thermique et lumineux. On récupère alors les spermatozoïdes et les œufs, qu’on place ensemble pour qu’ils donnent naissance à des larves. Les larves, à ce stade pendant quelques jours, sont disposées dans des bassins avec des conditions très spécifiques d’oxygène et de température.
Dès que les larves se métamorphosent, on les dispose dans la nurserie pendant 6 à 10 mois pour que les bébés ormeaux atteignent une taille d’un centimètre environ.
Enfin, les ormeaux sont placés dans des grandes cages situées en pleine mer où il y a une profondeur de 10 mètres. Nous avons la chance ici d’avoir une profondeur adéquate et une grande qualité de l’eau. Les ormeaux sont très sensibles aux températures trop basses ou trop hautes, donc 10 mètres de profondeur permettent de garder une température constante dans l’eau quelle que soit la météo.
Les ormeaux grandissent dans ces cages pendant 3 ans. Dans nos 220 cages, nous les nourrissons avec des algues fraîches toutes les trois semaines environ… Cela demande beaucoup de main d’œuvre !
Puis à la fin de leur cycle de vie, nous ramenons les cages à Plouguerneau pour récupérer les ormeaux et les calibrer. Ils ne grandissent pas tous de la même façon, les plus petits pèsent 20 grammes et les plus gros 70 grammes. Les plus petits sont utilisés pour faire des produits dérivés, tels que des rillettes, et les plus charnus sont envoyés directement aux restaurateurs.
En juillet 2021, vous avez décidé de vous lancer dans une deuxième mission, l’algoculture, afin de fournir à vos ormeaux des algues made in Plouguerneau. Quels bénéfices retirez-vous de cette double production ?
Notre spécificité est de nourrir les ormeaux exclusivement avec des algues naturelles bretonnes ! Pour nous fournir en algues, nous les récoltons à la main ou nous les produisons ici. Ce matin, nous sommes en période de grandes marées donc une partie de l’équipe est allée récolter les algues brunes sur l’estran. Par exemple, en 2021, nous avons récolté 120 tonnes d’algues sur l’estran. Il nous faut beaucoup d’algues car les ormeaux en consomment beaucoup : pour produire 1 kg d’ormeaux, il nous faut 10 à 15 kg d’algues !
Ainsi, nous avons alors voulu produire nous-même les algues qui nourrissent nos mollusques. Pour cela, nous utilisons deux méthodes, soit nous les cultivons en pleine mer, soit à terre dans des bassins à Plouguerneau. En mer, nous cultivons le Kombu royal grâce à un système de cordes ensemencées immergées sur lesquelles les algues se développent. A terre, nous cultivons l’Ulve, la laitue de mer, dans des bassins ovales dans lesquels nous avons créé un courant avec des pales. Les algues grandissent en suspension dans l’eau.
Les algues sont ensuite données aux ormeaux ou séchées sur place pour être utilisées dans des préparations culinaires comme des tartares d’algues. Nous travaillons également avec de nombreux artisans, boulanger, brasseur de bière ou chocolatier, qui utilisent nos algues séchées dans leurs recettes.
C’est super intéressant de travailler avec les algues, c’est un domaine où il y a encore beaucoup à apprendre ! Nous souhaitons également avoir une démarche propre pour l’environnement et l’algoculture permet de diminuer notre impact. Par exemple, les algues se nourrissent de l’azote rejeté par les ormeaux. L’idée est d’avoir un élevage le plus vertueux possible ! Des travaux de mise au point sont effectués dans le cadre du projet Européen Aquavitae.
Les ormeaux de taille trop petite ne sont pas jetés mais utilisés pour concevoir une gamme de produits, rillettes et conserves d’ormeaux. Où se passe la production ? Et une fois la chair d’ormeaux utilisée, arrivez-vous à valoriser les belles coquilles vides ?
Nous éviscérons les ormeaux ici puis nous déléguons la production à un collègue qui possède une conserverie à Carantec. Nous avons mis au point avec lui des recettes de rillettes puis il s’occupe de les réaliser dans sa conserverie La Chikolodenn. Pour les conserves, le directeur de production et moi-même venons à Carantec pour faire à la main les conserves d’ormeaux .
Oui, les coquilles sont bien sûr valorisées depuis pas mal d’années. Nous réalisons des bijoux en interne, Sylvain nous montre ses secrets de fabrication… Nous collaborons également avec plusieurs artistes qui sont à la recherche de ces magnifiques coquilles. Par exemple à Rennes, une artiste les transforme en verres et en assiettes et des archetiers collent la nacre des coquilles sur leurs instruments de musique. Puis pour les particuliers, nous en vendons aussi dans notre boutique !
Si nos lecteurs souhaitent commander des ormeaux, vivants ou sous vide, comment doivent-ils faire ?
Toute commande peut être faite sur notre site internet https://www.francehaliotis.com/. Nous livrons dans toute la France en 24 ou 48h. Il est aussi possible de venir à notre boutique au 70 aod Kerazan Lilia à Plouguerneau du lundi au vendredi. Nos produits sont également disponibles au bar à huître LEGRIS au bord de la plage de Plouguerneau. Après une petite randonnée au pied du phare de l’île Vierge, venez déguster nos produits en terrasse !
Si vous souhaitez également découvrir notre métier et notre savoir-faire, nous organisons des visites d’une heure. Au cours de la visite je fais découvrir, la biologie de l’ormeau, les méthodes d’élevage en mer et les outils de production, l’impact sur le milieu et la préservation des ressources naturelles, le travail de la nacre et la confection de bijoux et des idées de recettes et de préparation. Je termine la visite par une dégustation d’ormeaux poêlés… Pendant l’été, c’est tous les vendredis à 11h !
